apnée
--> dialogue imaginaire, suite
Ça a commencé par une engueulade.
— Je sais, tu vas me dire qu'on a pas le choix, mais des fois, j'en ai marre de tout ça, j'aimerais bien que ça s'arrête.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise? Je n'ai aucune réponse. On ne peut rien faire d'autre. Si tu veux, tu peux t'en aller. J'ai aucune réponse.
Elle est partie au bord des larmes éplucher des patates pour le déjeuner, retenant sur ses lèvres le commentaire cinglant qui menaçait de jaillir comme un venin: "Non, je ne peux pas m'en aller. Le seul truc qui me retient ici, c'est ton putain de fric, et je trouve ça dégueulasse."
Il était dans la cuisine, appuyé contre la fenêtre, les bras croisés. Elle a fait comme s'il n'était pas là. Curieusement, elle n'était pas très contente de le voir. Elle s'est mise à éplucher ses patates, ruminant sa colère qui peu à peu laissait la place à un chagrin sans nom. Il s'approche:
— Ne pleure pas. S'il te plaît, calme-toi, non...
Trop tard. Les larmes tombent sur les épluchures, dans l'évier, comme une grosse pluie grise d'orage.
— Casse-toi.
Elle veut qu'il la laisse tranquille. Elle se plie en deux, les bras noués au corps, et laisse échapper un long cri silencieux. Une sorte de râle, comme quelqu'un qui est en train de mourir. Puis elle se redresse, les larmes coulent toujours. Elle a l'impression qu'il l'enlace, elle croit sentir son menton appuyé sur son épaule, l'odeur de ses cheveux, mais elle refuse de se laisser attendrir:
— Casse-toi.
— Non, je ne me casserai pas. Je ne peux pas te laisser dans cet état.
— Casse-toi, je te dis. Je ne veux pas que tu reste. Mon existance est un paquet de merde. Et être obliger de rêver ma vie pour paraître heureuse la rend encore plus pitoyable.
— Il y a des gens qui n'ont même pas ce pouvoir-là. Ils ne peuvent rien faire. Ils sont englués dans leurs problèmes sans aucun moyen d'en sortir. Tu te rends compte que le rêve est une arme? Tu peux te battre. Et je resterai tant que tu en auras besoin.
— Je n'ai pas besoin de toi.
— Je resterai.
Alors elle l'ignore. Elle fait cuire ses pommes de terre. Elle use un demi paquet de kleenex pour essuyer ses larmes, pour ne pas que le Vieux voie qu'elle a pleuré. Elle se noie dans des tâches ménagères pitoyables. Et il la suit. Il est toujours derrière elle et ça l'énerve. Alors qu'elle est en train de refaire un lit, elle dit:
— Après tout, je ne vois pas pourquoi je fais des reproches à l'autre. Je ne vaux pas mieux que lui.
— Ne dis pas n'importe quoi. Tu es plus adulte et plus franche que lui.
— Qu'est-ce que tu en sais? Normalement, quand je te pose des questions sur lui, tu les éludes en disant que tu ignores les réponses.
— Je le sais, c'est tout.
— J'en ai marre d'être seule. Des fois, j'aimerais qu'il y ait quelqu'un qui vienne pour de vrai me prendre dans ses bras et me dire des choses gentilles.
—...
— Ne me dis pas que ça viendra, je vais vraiment m'énerver.
Alors il ne dit rien.
Une fois qu'elle s'est un peu calmée, il s'en va. Mais au moment de disparaître, il se retourne et lui dit:
— Je te le dis et je te le répète, tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça.
Elle l'a revu depuis. Vautrée dans un demi-sommeil sur son fauteuil, elle a ouvert un œil et il était là. Il lui a souri. Elle lui a souri aussi, sourire vague et béat. Elle n'aurait jamais cru qu'un jour, elle se mettrait en colère contre le maraudeur. Mais des fois, elle trouve dommage de n'avoir que lui.
Pondu par liloupop, le Dimanche 11 Janvier 2004, 19:16 dans la rubrique "dialogues imaginaires".